"...durant les trois mois de notre séjour, nous n’avons rien fait de ce qui était prévu… sinon, littéralement, nous exposer à l’altérité si radicale du Japon. Il n’y a pas d’autre façon de le dire. Il n’y avait pas d’autre urgence. C’était ce qu’offrait le séjour de plus irremplaçable. Nous l’avons vite compris. Sans perdre une seconde, oubliant tout projet, laissant de côté ce que nous savions déjà, que nous avions transporté avec nous, qui ne pouvait servir qu’en France, nous nous sommes soumis à la singulière étrangeté des structures, des ordres, des catégories qui organisent la vie des japonais ; à leurs goûts, à leurs beautés, à leurs saveurs ; à leurs formes, à leur conception de l’espace, du paysage, des forces qui travaillent le monde ; à leur vision de la ligne, de l’angle, du volume, de la proportion. Nous nous sommes exposés à tout ce que nous avons pu, comme à un rayonnement, tous les jours, à travers tout le pays, revenant là où l’étonnement, l’inquiétude, l’hébétude, l’étrange sentiment de nostalgie étaient les plus grands. Nous avons très vite su que ces trois mois seraient trop courts, dérisoires, et nous vivions la profusion de cette vie nouvelle avec l’urgence d’un sursis. Mais nous n’avons pas perdu de temps et nous sommes revenus gros, pleins, heureux, mais comme arrachés trop tôt à la matrice d’un songe qui nous réinventait.
Et voici maintenant ce livre, ce qui reste d’une journée ordinaire après qu’elle soit, depuis longtemps, passée. Une journée de ce précieux quotidien que parfois on s’invente au milieu des choses les plus incroyables, quand elles cessent de nous inquiéter."
Daniel Jeanneteau et Pierre Duba, extrait de la préface de À Kyôto